22 septembre 2005

Le coton transgénique divise toujours les acteurs

OUAGADOUGOU, 21 sep (IPS) - Le Burkina Faso est le premier pays d'Afrique de l'ouest à avoir autorisé des essais en champ de coton transgénique appartenant aux firmes Monsanto (coton BT) et Syngenta (coton VIP).
L'autorisation était accordée en juillet 2003, et le pays avait même accueilli en juin 2004, une conférence internationale sur la biotechnologie. Mais la polémique fait rage sur la culture transgénique, depuis la restitution, en février dernier, dans la capitale Ouagadougou, des résultats de deux années de recherche et d'expérimentation (2003 et 2004) du coton transgénique Bollgard II dans les stations de recherche de Farako-bâ et de Kouaré, localités situées respectivement dans l'ouest et l'est du Burkina. Appréciant les résultats des premiers essais sur le coton transgénique, les chercheurs de l'Institut de l'environnement et de recherches agricoles (INERA) et ceux de la firme américaine Monsanto sont parvenus à une conclusion favorable. Son utilisation ''permet d'entrevoir non seulement une réduction très significative de la quantité d'insecticide utilisée en culture cotonnière, mais aussi d'augmenter les rendements du coton graine'', selon le document de synthèse de l'INERA. Pour les adversaires du coton transgénique, ces premiers essais pourraient ouvrir la voie à sa commercialisation dans toute l'Afrique de l'ouest, avec des conséquences socioéconomiques imprévisibles. ''La recherche a fait son travail et elle a permis de confirmer certains postulats, à savoir, le Bt est efficace dans la lutte contre les chenilles qui endommagent le coton. Ce sont des résultats qui donnent des indications au niveau de la recherche, mais pas au niveau de l'exploitation'', selon François Traoré, le président de l'Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPC-B). ''Aucune structure, à ce jour, n'a été mise en place pour assurer l'application des textes de réglementation'', explique Jean-Didier Zongo, professeur de génétique à l'Université de Ouagadougou et président de la Coalition de veille face aux organismes génétiquement modifiés (OGM) au Burkina Faso. La Coalition de veille anti-OGM est née depuis fin 2004, regroupant des associations de la société civile et des scientifiques, pour approfondir la réflexion et mettre en garde contre les dérives de la culture transgénique. Evoquant la possibilité d'une mainmise totale des firmes sur la filière coton de la sous-région, Pascal Sanou, ingénieur agronome affirme à IPS que ''Le coton BT n'est pas un moyen efficace de réduire l'utilisation d'insecticides; il en existe d'autres plus efficients, mieux convenables, avec moins de risques. Je pense qu'il y a plutôt une volonté d'accroître les profits et le contrôle, par les multinationales, de la production cotonnière de la sous-région''. ''Quelle garantie a-t-on par rapport à l'incidence sur la santé des populations, l'environnement et le sol même?'', demande-t-il. Pour Madou Soulama, l'un des plus grands cotonculteurs de la région de l'ouest, ''le prix pour la variété de coton génétiquement modifié qu'on expérimente ici dépasse les 50.000 francs CFA (100 dollars environ) par hectare, tandis qu'actuellement, les producteurs dépensent en moyenne 37.000 FCFA (74 dollars) pour les pesticides. Il paraît alors évident que le coton BT ne permet pas de lutter contre la pauvreté''. ''L'introduction des organismes génétiquement modifiés dans le secteur agricole africain n'est pas la priorité pour ce qui est de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement'', confie à IPS, Marc Kaboré, consultant pour des questions de l'environnement, opposé à la culture transgénique. Le Burkina Faso est l'un des plus gros producteurs de coton du continent, avec une production de plus de 600.000 tonnes cette année. Tout un pan de l'économie repose sur cet or blanc, à tel point qu'il constitue, selon le ministère des Finances et du Budget, le premier produit d'exportation du pays, avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 417 millions d'euros (environ 500 millions de dollars). Produit par 2,5 millions de paysans burkinabé sur les 11 millions d'habitants du pays, le coton contribue pour 35 pour cent du produit intérieur brut (PIB) et assure près de 60 pour cent des recettes de l'Etat, selon le ministère des Finances. De l'avis des techniciens de l'INERA et de Mosanto, les résultats des premiers essais, quoique préliminaires, montrent que le coton Bollgard II semble plus efficace dans la lutte contre les insectes ravageurs au Burkina, où le rendement moyen à l'hectare - de 1,1 tonne - est jugé faible alors que les récoltes sont souvent compromises par les ennemis des cultures. ''Aujourd'hui, un hectare de coton OGM donne environ trois à 3,5 tonnes. Celui d'un coton classique donne environ 800 kilogrammes ou, dans le meilleur des cas, 1,2 tonne'', déclare à IPS, Salif Diallo, ministre de l'Agriculture. ''La biotechnologie serait également un moyen d'atteindre l'autosuffisance alimentaire. Ensuite, elle participera à la compétitivité de l'économie rurale''. Les premiers semis ''en champ isolé'' sur les deux stations de l'INERA avaient pour objectif de prouver ''la viabilité'' du coton bacillus thuringiensis ou 'BT' mis au point par Monsanto, dans les conditions climatiques burkinabé. Ces essais devraient montrer également sa capacité à ''s'auto-protéger'' contre les chenilles Helicoverpa qui compromettent, chaque année, environ 50 pour cent de la production totale. Ils devraient permettre enfin d'étudier la rentabilité économique de la technologie BT dans les conditions de culture au Burkina. Selon Oula Traoré, chef de programme coton de l'INERA, ''ces expérimentations ont permis d'enregistrer des résultats probants. Elles ont en effet révélé que le gène BT (ou Bollgard II) n'influence pas la précocité et le rendement égrenage du coton, (mais) augmente les rendements en coton graine, contrôle efficacement les populations des larvaires, des lépidoptères carpophages et phyllophages'' (Ce sont des familles d'insectes et chenilles ravageurs du cotonnier). ''Il faut aujourd'hui que l'Afrique pense par elle-même car on pense que ce qui est bon pour les autres ne l'est pas pour elle. Il convient que les Africains s'approprient cette technologie'', souligne à IPS, Alassane Séré, ancien ministre des Ressources animales et promoteur de Burkina Biotech Association (BBA). C'est une tribune de chercheurs burkinabé pour faire entendre la voix de vrais spécialistes des biotechnologies. Le coton transgénique est donc ''à priori, une alternative aux charges en intrants évaluées à 30 milliards de francs CFA (47,7 millions d'euros) par an dont 10 milliards de FCFA (15,2 millions d'euros) pour les pesticides'', explique à IPS, Georges Yaméogo, directeur de production à la Société des fibres et textiles du Burkina. ''Les essais ne signifient pas que le Burkina Faso a autorisé les cultures commerciales d'OGM. Cette décision n'est pas encore prise'', a tenu à préciser, lors de la restitution, Laya Sawadogo, ministre de la Recherche scientifique, qui a encouragé les chercheurs à ''toujours persévérer dans leur domaine afin que les résultats de ces essais soient de plus en plus performants''. ''Naturellement, nous devons compter sur la science en tant que facteur de progrès humain et nous ne saurions exclure la possibilité d'utiliser cette technologie si elle est opportune, mais il faut beaucoup de prudence'', assure Issa Tondé, l'un des plus grands cotonculteurs de la région de l'est au Burkina. Du coté des techniciens, on croit fermement que le mouvement est irréversible. ''Le transgénique va bientôt envahir les marchés; si nous ne l'introduisons pas, les producteurs vont, dans tous les cas, s'en procurer autrement'', estime Hamidou Boly, directeur de l'INERA. Pourtant, les premiers concernés que sont les producteurs ne sont pas encore très emballés. ''Le coton est utilisé pour s'habiller, mais ses graines se consomment. Les OGM, on nous répète à l'envi que c'est bien pour la rentabilité, n'empêche qu'il y a un large champ d'incertitudes'', avertit Traoré de l'UNPC-B. ''On doit appliquer le principe de précaution''. La même méfiance est partagée par les religieux. ''Il est urgent d'attendre, il est plus facile d'ajouter du sel dans une sauce trop fade que d'en retirer quand celle-ci est trop salée'', fait remarquer le père Maurice Oudet de l'église catholique. ''Même si aucune résistance des insectes n'a été encore constatée, ni aucune allergie chez l'homme, il faut faire attention et ne pas se précipiter'', estime, pour sa part, l'imam Ibrahim Kouanda de la communauté musulmane burkinabé. Cette méfiance n'est pas partagée pas certains. ''Le retard technologique de l'Afrique est venu du fait que chaque fois qu'une nouvelle technologie est née, il y a des gens qui disent que l'Afrique n'est pas mûre pour cela. Elle devient consommatrice, sans avoir participé à l'élaboration de cette technologie'', déplore Séré de BBA. ''La biotechnologie est la technologie du 21ème siècle et personne ne peut y déroger durablement''. ''Il n'existe aucune étude fiable sur les conséquences de la culture transgénique à long terme. Le principe de précaution, jusqu'alors appliqué, pourrait être mis à mal par des impératifs économiques immédiats'', soutient l'économiste Moussa Nogo. (FIN/2005)

Tiego Tiemtoré

Source : IPSnews